Le loup est un animal mythique admiré par bon nombre d’entre nous. Pourtant aujourd’hui, quand on pose la question à François Thabuis, éleveur de bovins et d’ovins en Haute-Savoie, on comprend que la réalité du loup dans nos montagnes est plus complexe qu’il n’y parait.
Rappel historique
Vers la fin du XIXè siècle, le loup est chassé par l’homme en France et dès 1882, une prime est même offerte à toute personne qui serait amenée à tuer un individu. Si une telle position est adoptée, c’est avant tout parce que le loup est alors vu comme un prédateur pour l’homme. En 1939, on estime que le dernier loup est abattu en France et il continue à être chassé dans d’autres pays européens. Finalement, en 1976, il ne reste plus que quelques individus en Italie qui le déclare alors comme espèce protégée.
Cela va ouvrir la voie à un mouvement de protection de l’espèce : en 1979, la convention de Berne le déclare comme espèce protégée au niveau international ; en 1992, il en est de même au niveau européen ; et en 2007, il devient protégé en France également.
Ainsi, dès 1992, le loup fait son grand retour dans notre pays, dans le parc national du Mercantour. L’animal va alors logiquement se reproduire et le nombre d’individus va augmenter en France.
La présence du loup en chiffres
Entre 2015 et 2020, on estime officiellement que la population de loups a quasiment doublé, passant d’environ 300 individus à presque 600. D’après l’INRAE, cela représente une augmentation d’environ +20% par année. Dans l’épisode 4 de la saison 2, François Thabuis nous explique que le vécu des éleveurs est différent des chiffres officiels et qu’il est persuadé qu’il y a plus de 600 individus sur le territoire français.
Sa présence sur le territoire est relativement concentrée dans les Alpes, là où il s’est initialement installé, mais c’est une espèce territoriale qui cherche à s’étendre en plaine comme en montagne. C’est pour cela qu’on retrouve des loups dans les Vosges, dans la Meuse ou même dans le Massif central. Vous pouvez retrouver des cartes et des graphiques statistiques sur la présence du loup en France ci-dessous :
Une situation difficilement tenable pour les éleveurs …
Cette expansion du loup pose problème aux éleveurs pratiquants le pastoralisme et gardant leurs troupeaux dans les montagnes. C’est particulièrement vrai pour les bergers gardant des moutons ; Une statistique montre l’ampleur de ce problème : le nombre de victimes d’attaques de loup augmente logiquement avec la population de loups en France. On estime qu’il y a environ +1000 victimes d’attaques de loups par an depuis 12 ans. En 2020, on comptait ainsi près de 12 000 animaux d’élevage morts pour environ 580 loups en France. Mais là encore, il est difficile d’avoir des estimations totalement fiables sur le nombre réel d’animaux victimes des loups comme l’explique François dans le podcast : il arrive régulièrement que les carcasses des animaux attaqués soient hors d’atteinte et donc jamais retrouvées ou qu’elles soient retrouvées après le passage de charognards (les vautours notamment) qui rend l’identification de l’animal tué beaucoup plus difficile. Pour ces raisons, les éleveurs ne peuvent pas déclarer toutes ces pertes comme étant la conséquence d’attaques de loups.
Les pertes pour l’éleveur sont financières certes mais pas seulement. Comme François nous l’explique, l’éleveur possède un lien affectif avec ses bêtes. Perdre plusieurs animaux par des attaques de loups successives peut très vite difficile à vivre pour un éleveur
Par ailleurs, l’éleveur est confronté à des coûts indirects : les animaux qui ont subi l’attaque mais qui sont restés en vie ressentent, eux aussi, le choc lié à une attaque de loups. Certains agneaux voient leur croissance s’arrêter et leur mère peut également arrêter de produire du lait en raison du stress psychologique causé par l’attaque.
Pour ne rien arranger à cela, la perception des éleveurs dans la société se trouve dégradée. Le sujet crée des conflits entre les paysans et d’autres membres de la société, qui souhaitent protéger le loup coûte que coûte.
Un fort soutien financier de l’état
La présence du loup en France n’est pas sans coût. L’Etat fournit des aides aux éleveurs sous forme de compensations financières en cas d’attaque et/ou pour la mise en place de moyens de prévention contre les attaques. A titre indicatif, le montant total des aides en 2020 avoisinait les 38 millions d’euros.
L’Etat prend en charge les analyses de vulnérabilités en amont ainsi que l’accompagnement technique nécessaire pour les éleveurs (conseils, formations …). Il prend aussi en charge 80% du coût des salariés employés à garder les troupeaux pour les éleveurs et 80% du coût d’installation d’un parc électrifié. Enfin, il fournit une enveloppe de 300€ à l’achat d’un Patou des Pyrénées avec 600€ par an pour couvrir les frais liés au chien.
Le débat : quelles solutions pour demain ?
Pour ou contre le loup dans nos montagnes ? Le débat fait rage mais a-t-il vraiment lieu d’être ? Personne ne remet en question la présence du loup dans son habitat naturel. Il a toute légitimité à y vivre. La question est plutôt de savoir où met-on le curseur ? Doit-on rendre le loup intouchable ou doit-on le réguler ? Si oui, à combien d’individus doit-on limiter la population ?
L’INRAE l’explique dans son dernier rapport : un des soucis majeurs réside dans le fait que les loups ne craignent plus l’homme et donc ne craignent plus de s’attaquer aux troupeaux des éleveurs. Cette espèce étant protégée, elle n’est plus touchée par l’homme et ne craint donc plus les représailles lorsqu’elle s’attaque à ce dernier.
Le statut d’espèce protégée du loup a en effet rendu les choses beaucoup plus compliquées pour les éleveurs pour défendre leurs troupeaux : outre le fait de mettre en place des mesures de protection soit plus coûteux, les bergers ne peuvent plus abattre un loup quand ils en voient un et sont obligés de suivre de longs, la plupart du temps, inefficaces.
Le problème, et on le voit bien dans les graphiques statistiques ci-dessus, c’est que toutes les mesures de protections n’ont pas réellement prouvé leur efficacité .
Quelles sont donc les autres pistes ?
- Eradiquer complètement le loup ? Ce serait faire un retour en arrière de plusieurs dizaines d’années, difficile à mettre en place et n’arrangerait rien à l’image des éleveurs dans la société.
- Placer les animaux d’élevage constamment en intérieur ? Là encore, cette solution paraît très questionnable en termes de qualité des produits qui en ressortiraient et de bien-être animal.
- Arrêter le pastoralisme ? D’une part cela aurait pour effet secondaire de délaisser l’entretien des montagnes et autres prairies difficiles d’accès à part pour des animaux de pâturages. D’autre part, cela reviendrait à abandonner certaines traditions, certaines Indication Géographique Protégée et donc certains savoir-faire. Pour cette raison, cette solution paraît également peu envisageable.
Le rapport de l’INRAE explique qu’il faut donner plus de latitude à l’éleveur pour défendre son troupeau. Entre aller chasser le loup tous les jours pour s’assurer qu’il n’y en a pas qui rôde autour de son exploitation et ne pas pouvoir défendre son troupeau, il y a probablement un juste milieu à atteindre. François Thabuis insiste sur le fait de « remettre en place une forme de respect mutuel entre le loup et l'homme fondé sur des signaux clairs et des règles strictes à rappeler de temps à autres si besoin. » Cela signifie que selon lui, il faut trouver le moyen de réinculquer la peur de l’homme au loup pour qu’il arrête de s’attaquer aux troupeaux. Le but n’est pas d’exterminer le loup car nous avons vu que ce n’était pas la bonne solution et ce n’est pas ce que réclament les éleveurs. Tout ce qu’ils veulent, c’est avoir le droit de défendre dignement leurs troupeaux, avec des moyens à adapter en fonction des situations, des attaques et de l’insistance des individus.
Les problématiques autour du loup prennent de l’ampleur en France dans le milieu de l’élevage. C’est un sujet d’autant plus sensible que les causes de protection des animaux se font de plus en plus entendre au cours des dernières années et qu’elles se heurtent à la réalité du terrain rural à laquelle sont confrontés les éleveurs tous les jours.
Vous pouvez retrouver l’épisode avec François Thabuis ci-dessous pour avoir son vécu face au loup dans les alpages.
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