Le débat sur les néonicotinoïdes a fait grand bruit au mois d'octobre dernier. Interdit depuis le 1 septembre 2018, cet insecticide a été ré autorisé par le gouvernement français sous forme de dérogation pour la filière de la betterave sucrière au risque de mettre en péril la biodiversité aux alentours des champs. Ces discussions très médiatisées fin 2020, illustrent parfaitement la complexité de l'agriculture d'aujourd'hui. j'ai eu la chance d'en discuter avec Thierry Bailliet dans le dernier épisode du Podcast. Explications.
Les néonicotinoïdes c'est quoi ?
Les néonicotinoïdes représentent une classe d'insecticide utilisée dans le monde agricole pour lutter contre les insectes nuisibles et ainsi protéger les plantes. Elle peut aussi être utilisée en élevage, pour protéger les animaux des puces.
Cet insecticide est majoritairement pratiqué en pulvérisation classique sur les sols ou via l'enrobage de semences.
Les néonicotinoïdes ont un effet négatif sur la biodiversité alentour. Elles sont notamment accusées d'affecter le système nerveux des abeilles. D'après des études scientifiques, ces dernières perdent leur sens de l'orientation et n'ont plus la capacité de revenir dans leur ruche ce qui cause leur disparition. Ce ne sont pas seulement les abeilles qui sont affectées par ce produit mais bien la biodiversité en général (végétaux, nappes phréatiques, mammifères ...) et ce n'est à priori plus à prouver.
Les producteurs de betteraves tentent de rassurer les parties prenantes en expliquant qu'ils ramassent la betterave avant que celle-ci ne fleurisse et qu'elle ne peut donc pas être butinée par les abeilles. L'impact des néonicotinoïdes serait donc très contrôlé. Thierry le dit d'ailleurs sur le Podcast, il voit très peu d'abeilles sur les champs de betterave puisqu'il n'y a pas de fleurs. Des études scientifiques ont cependant trouvé des traces de ce produit dans les nappes phréatiques et dans les plantes environnantes puisque la semence enrobée "transpire" à travers les sols.
Les néonicotinoïdes dans la filière des betteraves
Les semences de betteraves sont enrobées d'une pellicule faite d'argile et de néonicotinoïdes. Le fait que la graine soit enrobée par l'insecticide permet d'imprégner la plante (ses racines et ses feuilles) de ce dernier. L'objectif ? Protéger les plants de betteraves de la jaunisse, maladie générée par les piqûres des pucerons verts.
Pendant deux ans, les producteurs ont eu interdiction d'utiliser cet insecticide. Ils ont alors perdu entre 30% et 50% de leur production mettant ainsi en péril toute la filière de betterave sucrière. L'hiver à en plus était très doux, ce qui a favorisé le développement de ces pucerons.
A l'heure actuelle, il n'existe aucune solution pour remplacer ces néonicotinoïdes et c'est bien tout le problème. Le gouvernement a alors fait le choix, sous forme de dérogation, d'autoriser la filière de la betterave a utiliser cet insecticide pour trois ans.
Un choix cornélien
Avec ses 5 millions de tonnes produites sur son sol, la France est le premier producteur de sucre d'Europe. Nous produisons à nous seuls 30% de la production totale européenne. Aujourd'hui, cette filière représente par ailleurs 40 000 emplois en France. C'est ce qui rend le débat très complexe.
On comprend alors que le choix est cornélien. Le gouvernement avait ainsi deux options possibles :
Maintenir l'interdiction de l'utilisation des néonicotinoïdes pour protéger l'environnement : cette option a l'avantage évident d'être sûr de réduire drastiquement l'impact de la filière sur la biodiversité, c'est bien la priorité de la majorité d'entre nous. On sait cependant que cela implique une baisse de 30% à 50% de la production, ce qui implique de vraies difficultés économiques pour les producteurs de betteraves. Ces derniers seraient alors amenés à délaisser la production au profit d'autres cultures. Cela impliquerait la fermeture de toute la filière qui est pourtant une force de notre pays. Les français ne se passeraient pour autant pas de manger du sucre. On importerait alors le sucre produit dans d'autres pays avec un usage des néonicotinoides souvent beaucoup moins réglementé qu'en France. Il faudrait par ailleurs ajouter à ça les coûts environnementaux du transports.
Ré autoriser le produit en sachant qu'il nuit à l'environnement avec tous les impacts que l'on connaît sur les insectes polinisateurs et la biodiversité aux alentours. Solution qui permet cependant de maintenir la filière de la betterave sucrière en France et d'éviter de nous retrouver à importer le sucre.
Pour sauver la filière, le gouvernement a alors décidé de faire un compromis entre les deux solutions possibles. Il a emboîté le pas des autres pays européens en accordant une dérogation à ses producteurs. Cette autorisation est valable pour trois ans et s'accompagne d'un budget de 20 millions d'euros investi dans la recherche pour trouver un produit de substitution plus respectueux de l'environnement. La positionnement du gouvernement semble pragmatique : détruire toute une filière pour importer un sucre produit on ne sait comment aurait été un non sens. La vraie question est pourquoi nous n'avons pas chercher des solutions avant d'arriver à cette impasse qui semble finalement frustrer toute les parties prenantes.
Les agriculteurs : une situation intenable
Une chose est sure, sur le sujet des pesticides (néonicotinoïdes, glyphosate ou autre), l'agriculteur ne peut être le seul à supporter les coûts de ce changement d'intérêt collectif. C'est pourtant bien ce qui est en train de se passer. D'un point de vue économique, l'agriculteur ne tire aucun bénéfice à ne plus utiliser de produits chimiques. Dans le cas des producteurs de betteraves qui, pendant deux ans, ont travaillé sans aide de la chimie, ces derniers ont juste vu leur production et donc leur revenu diminuer de près de moitié. Les charges fixes elles ne bougent pas. On aurait pu se dire que, puisque la production nationale avait bais, le prix de la tonne de betterave aurait augmenté. La classique loi de l'offre et de la demande. Mais, comme nous l'explique Thierry dans le Podcast, le cours du sucre est mondial et ne tient évidemment pas compte des difficultés françaises puisque les autres pays eux utilisent les néonicotinoïdes et ne voient pas leur production baisser. Thierry nous explique ainsi que cette année, les producteurs de betteraves se sont vu payer 25€ la tonne alors qu'elle leur à coûté entre 28€ et 30€. Ils travaillent à perte, tout est dit.
Du pragmatisme
La question des pesticides demande du pragmatisme dans la prise de décision. Nous sommes tous d'accord qu'il faudrait qu'il n'y ait plus aucun pesticide utilisé sur le sol français. La réalité c'est qu'aujourd'hui, sans ces pesticides, nous ne pouvons pas du jour au lendemain atteindre des niveaux de productivité permettant de nourrir toute la France à des prix accessibles et d'offrir un niveau de revenu convenable à l'agriculteur. Nous en sommes devenus dépendants. Contrairement à l'image que l'on en a, la France fait plutôt figure de bonne élève en terme d'utilisation de produits phytosanitaires sur l'échiquier mondial. Les choses vont dans le bon sens. Alors que nous sommes le premier producteur Européen, nous sommes classés 7ième en terme d'utilisation de pesticides avec 3,6kg par hectare (contre 7,9kg/hectare pour les pays-bas ou 6,1kg par hectare pour l'Italie par exemple, source Statista). Les ventes de produits phytosanitaires ont entamé leur baisse depuis 2018. On note une diminution de 14% de ces ventes entre 2018 et 2019. La part des produits classés CMR1 et CMR2 (les plus dangereux) dans la totalité des substances vendues décroît de manière constante et régulière depuis 2008. Ils représentaient 28,4% cette année là contre 14% en 2019 (source agriculture.gouv.fr). Cela ne veut pas dire qu'il faut s'arrêter là. L'agriculture française a toute les qualités pour être moteur sur le sujet et montrer l'exemple. Nous pouvons s'en aucun doute aller plus loin. Cela veut juste dire qu'il faut du temps. Et interdire purement et simplement des produits phytosanitaires qui entrainent la fin de certaines productions est un non sens total, voire une hypocrisie, puisque on importe ensuite ces mêmes productions, souvent produites dans des conditions bien pires qu'en France. A part pénaliser nos agriculteurs, notre économie et notre indépendance alimentaire, c'est un coup d'épée dans l'eau. Le vrai problème, et on le voit sur le sujet des néonicotinoïdes, c'est que les autres pays ne jouent pas le jeu. Il faut que l'effort soit collectif, sinon les pays qui s'en imposent le plus sont finalement économiquement pénalisés et arrivent à un modèle qui n'est plus viable.
Nous demandons aux agriculteurs de faire les changements vite, car le temps presse, mais nous ne leurs proposons pas ou peu de solutions concrètes pour qu'ils continuent de gagner leur vie décemment. Nous les mettons dans une impasse économique. C'est un jeu dangereux car le nombre d'agriculteurs diminuent d'année en année. Le vrai désastre écologique de la France serait de ne plus avoir de paysans dans son pays pour produire une alimentation locale et respectueuse de l'environnement.
Pour écouter l'épisode de Thierry :
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